C’est le titre d’un ouvrage incontournable dans l’art du peu ; celui qui nous apprend à parler moins pour dire plus, pour être plus audible. Le Retour de Socrate du professeur éminent, poète et traducteur tunisien, Mansour M’henni, qui a initié le concept de la Nouvelle Brachylogie en ressuscitant cette dernière de ses cendres. L’auteur s’inscrit contre cette « seconde mort » de Socrate en initiant en 2012 un concept qui s’ouvre sur toutes les disciplines et s’adapte sciemment au monde d’aujourd’hui.
La Nouvelle Brachylogie est fondée sur l’esprit de conversation qui se veut une science des structures conçues en miniature (aphorismes, sentences, maximes, fragments, etc.) afin d’élaborer une pensée de l’individu moderne et de sa place au sein de la Cité. Voici comment l’être entame son acheminement vers la démocratie et vers la société de conversation. Et M’henni d’affirmer ouvertement que « Socrate n’a pas cherché à édifier, et encore moins à systématiser une pensée de la brachylogie. Avec la pédagogie qui lui est propre, disons « la maïeutique » pour faire comme tout le monde, il a semé dans l’emploi du mot des bribes de réflexions à même de poser les jalons d’une pensée appropriée à sa façon de voir.
Il ne s’agit donc, pour nous, ni de ressusciter Socrate ni de faire figure d’un Socrate moderne. Ainsi, Le Retour de Socrate est tout simplement le rappel d’une pensée embryonnaire qui nous semble porteuse d’une vraie philosophie de l’homme et du langage et qui nous paraît trouver dans le fonctionnement du monde moderne les conditions de sa réhabilitation. » Pour que le grand public ait accès à cette Nouvelle Brachylogie, nous avons choisi d’expliquer sa pensée et ses maitres mots. Car l’enjeu de cette voie est d’aller vers l’autre, au lieu de le perdre dans les dédales de la longueur ou encore les « belles paroles » de la démagogie. Tout y est clair, limpide et bref. C’est le court qui l’emporte et c’est le concis qui prend le dessus. L’art du peu nous sauve de la manipulation et nous protège de la rhétorique labyrinthique. La vertu de la brièveté est d’établir un rapport égalitaire entre les citoyens (et tous ceux qui prennent la parole sans la monopoliser !) et de reconnaitre à chacun le droit à la participation effective à la gestion de la « chose publique » et donc du vivre ensemble. Toute démocratie digne de ce nom puise son authenticité dans cette égalité verbale qui laisse délibérément de l’espace pour que l’Autre assimile, écoute et intervienne : « Le propre de la Nouvelle brachylogie est de se concevoir comme une éthique, mais peut-être faudrait-il la percevoir comme un degré zéro d’éthique, comme un juste nécessaire mais non suffisant de valeurs à même d’informer d’un vivre-ensemble aspirant à l’idéal démocratique. On sait toutes les bifurcations de la réflexion éthique ; mais la dimension éthique de la Nouvelle Brachylogie se résumerait peut-être à quelques valeurs de base, croisées et complémentaires : l’égalité, le respect et la relativité. Cela nous ramènerait peut-être à l’idée de vertu, congénère de la pensée éthique, à repenser comme une philosophie du vivre-ensemble. » Il s’agit de réhabiliter la petitesse et la minorité pour les exhumer de leur statut « subalterne » et « mineur ».
Pourtant, le « peu » est précieusement riche, porteur de significations, voire plus éloquent que les longs discours. En effet, les microstructures intellectuelles et matérielles et leurs fonctionnements stimulent cette « remise en question » de soi, cette introspection bouleversante et ce retour vers l’égo à secouer. Grâce à la NB, on ne cesse de se réviser, de se relire, de se défaire des clichés et des stéréotypes, d’affronter le « nouveau » et le « variable », afin d’adhérer à ces vérités naturellement contingentes, changeantes à vue d’œil et du coup relatives. Ainsi, on institue « l’esprit de conversation » en logique interrogative de notre rapport au monde, aux êtres, aux objets et surtout à « nous-mêmes ». Une telle remise en cause de soi stimule une véritable introspection en vue d’une révision des idées arrêtées et définitives. C’est justement pour mieux penser (repenser) notre rapport à la Cité et à l’univers. Et cette pensée renoue avec plusieurs disciplines à la fois dont aussi la biotechnologie et la nanotechnologie. Voici donc une discipline qui se veut multidimensionnelle en ayant deux volets inextricablement liées, à savoir la brachypoétique et la brachylogie générale.
Celle-ci est un champ de connaissance qui contient tout ce qui à même de relever de la microstructure au moyen de laquelle conversent les sciences pour non pas répondre mais tenter de répondre à certaines problématiques et questions portant sur le vivre-ensemble, loin de toute idée excluant autrui et de tout jugement de valeur portant atteinte à la personne et à ses idéaux propres. Pour appréhender la nomenclature, bien entendu nouvelle, proposée par la CIREB, l’équipe de recherche aspire à la publication d’un dictionnaire spécifique à la Nouvelle Brachylogie pour « vulgariser » le métalangage de ce concept encore à préciser afin qu’il soit intériorisé dans nos discours, nos paroles, nos communications et nos actes. Le concept de NB s’étale sur toutes les pratiques du discours : les sciences humaines, les sciences fondamentales et les nouvelles technologies, les systèmes de pouvoirs et les genres (dans le langage, la littérature et la société), etc. Et ces différentes disciplines puisant dans le corps de la NB s’associeront par conséquent à la chose « publique », comme le précise le professeur Mansour M’henni : « du point de vue de la Nouvelle Brachylogie, si la chose est « publique », c’est qu’elle concerne tout le monde et qu’elle est du regard de chacun. De ce fait la citoyenneté ne saurait se concevoir que comme un devoir et un droit de chacun, également, à s’impliquer dans la gestion de la chose publique. C’est cette implication qui serait son engagement, conçu comme une contribution à sauvegarder ce que nous avons défini comme l’éthique du vivre-ensemble et ses valeurs fondamentales d’égalité, de respect et de relativité. L’engagement n’est plus pour une idéologie arrêtée, mais par une sorte d’autogestion de la société par tous ceux qui la composent. » Il revient donc au Pr. M’henni d’avoir « déterré » la notion de « brachylogie » en fédérant plusieurs groupes de recherche présents dans plusieurs universités de nationalités différentes : la Tunisie, le Maroc, la Belgique, l’Espagne, l’Italie, la Cote d’Ivoire, le Liban, l’Algérie… pour ne citer que celles-ci. C’est dire que Socrate a fait l’éloge de la brièveté dans la conversation, en s’adressant à Protagoras : « Veuille resserrer tes réponses et les faire aussi courtes que possible, afin que je puisse te suivre ».
Clouant la rhétorique au pilori, dans sa trame argumentative et ses intentions manipulatrices, la brachylogie, surtout avec sa nouvelle version, vise l’interrogation et de ce fait la conversation. Le concis est doté d’un pouvoir qui donne naissance à la réflexion et laisse exprès des blancs, invitant autrui à combler, à prendre la parole, à réagir, en se réjouissant d’avoir une place vaste qui l’engage dans le processus conversationnel en tant qu’acteur égal et digne de respect. C’est le prisme du partage et de la bonne communication qui fait fi des dogmes et des principes figés. L’échange y est fluide, tolérant et ouvert. Le silence est politique. Rien n’y est gratuit. Tout est signification. Aucune crise de sens, aucun conflit et aucune antipathie. Les suprématies tombent et les jeux de domination sont condamnés à mort. Bon retour Socrate, merci Mansour !
(Chronique initialement publiée dans La Vérité, au Maroc. Puis reprise en Tunisie par https://voixdavenir.com/ )