A l’ouverture de l’allocution de soutenance de sa thèse « Poétique du fragment et pratique de la conversation : le cas Cioran. Pour une approche brachylogique », le chercheur, écrivain, traducteur marocain, Mounir Serhani a dit que le 8 juin 2019 resterait pour lui un jour exceptionnel, celui de sa consécration académique par un autre diplôme universitaire et des plus honorables, le jour même du 20ème anniversaire de la mort de son père auprès de qui, quatorze ans durant, il a acquis comme par atavisme le sens des lettres et de la pensée et l’amour des livres et de la lecture. En vérité, au-delà de sa symbolique en tant que fête des meilleurs amis, comme semble l’avoir été (l’être encore, autrement), Mounir et son défunt père, ce jour du 8 juin sera aussi celui de la brillante soutenance de la première thèse de doctorat en études brachylogiques (Un mémoire de mastère en la matière a été soutenu en Tunisie, fin 2015, mais son auteure a interrompu sa recherche, pour des obligations sociales ; peut-être y reviendra-t-elle un jour !) .
Rappelons que le concept de « Nouvelle Brachylogie » (on peut désormais se contenter du mot brachylogie, après l’accommodation du signifiant au besoin du nouveau signifié) est né en Tunisie (Université Tunis el Manar) en 2012, et que le concept et son champ de recherche sont à présent en pratique dans plus d’une quinzaine de pays répartis entre quatre continents. Que, sept années après son initiation, le concept et son champ d’exploration réussissent une telle évolution, cela donnerait à réfléchir et, plus même, informerait autant de l’importance de ce concept que de sa nécessité et du besoin qu’on en aurait.
Nous l’avions précisé précédemment, ici même comme ailleurs : inspirée d’une idée esquissée dans la pensée socratique, la brachylogie est à entendre comme une vision du monde et des sociétés, bref du vivre-ensemble dans sa perception intégrale (vivre avec soi, son alter ego, vivre avec les autres, êtres ou objets, vivre avec l’univers), sur la base d’un principe premier et fondamental, celui de « l’esprit de conversation » qui est à considérer comme la voie privilégiée, sinon l’unique, vers l’idéal démocratique. Voilà ce qu’il en est pour simplifier le plus possible cette pensée dont les implications sont diverses et pluridisciplinaires et dont les champs d’action sont variés et pluriels. Certes, l’exploitation du concept est encore inégalement répartie entre les disciplines, les langues et les cultures ; mais à présent qu’il est reconnu et confirmé dans le cadre universitaire, l’ouverture de son champ d’intervention et même d’action sera plus aisée et plus soutenue, à différents niveaux.
Comme souligné par les membres du jury, en choisissant de s’attaquer à un auteur aussi difficile et aussi problématique que Cioran et en optant pour l’approche brachylogique, M. Serhani a fait preuve du courage de base qui devrait caractériser les vrais chercheurs animés du désir de relever le défi de l’innovation. Il a inscrit son propos à cheval entre l’analyse littéraire et la réflexion philosophique tel que déjà annoncé par le titre et l’a conduit avec un viatique richement fourni en lectures bien assimilées, de quoi procéder à des comparaisons et à des rapprochements fort instructifs. On le devine bien : le jury ne pouvait que lui accorder la meilleure mention, en l’occurrence « Très honorable, à l’unanimité des membres du jury, avec recommandation de publication ».
Ainsi, après le livre portant initiation du concept de la Nouvelle Brachylogie, en l’occurrence Le Retour de Socrate, la thèse de M. Serhane constituera, à sa sortie publique, sans doute une deuxième grande référence individuelle, puisque les autres publications en études brachylogiques sont des ouvrages collectifs (Actes ou revues).
Voilà de quoi donner plus d’assurance aux chercheurs déjà inscrits ou en voie de le faire dans ce cadre de recherche. Et voilà de quoi conforter ceux précocement gagnés à sa cause dans la pertinence de leur choix et dans la responsabilité louable qu’ils ont assumée pour s’y investir en dehors des sentiers battus.
« Aller au fond de l’inconnu, pour trouver du nouveau », ainsi Baudelaire a dit.
Mansour M’henni (Publié dans www.jawharafm.net)